Aucun sujet médical ne suscite autant de controverses sur Internet que la vaccination. Surtout depuis l’apparition de la COVID-19. L’un des principaux arguments avancés par les opposants à la vaccination est le suivant : « Si mon vaccin est efficace, pourquoi vous souciez-vous que je ne me fasse pas vacciner ? ». Le raisonnement est simple : si vous êtes protégé, qu’importe que votre voisin soit vacciné ? Et si le vaccin ne fonctionne pas chez une personne non vaccinée, peut-être n’est-il pas efficace ?

Ces questions font partie d’un puzzle anti-vaccination plus large, où la science, la méfiance et les théories du complot se mélangent dans un chaudron bouillonnant. Voyons d’où viennent ces arguments et comment ils se transforment en mèmes accompagnés d’émojis confus et de comparaisons avec des médicaments contre l’hypertension.

« Imaginez que les médicaments cessent d’agir chez d’autres personnes »

Une comparaison circule activement dans les communautés anti-vaccins : « Imaginez que les médicaments contre l’hypertension ou le diabète cessent d’agir si un de vos proches ne les prend pas non plus. Cela semble absurde, n’est-ce pas ? ». Cela ressemble à un scénario de film de science-fiction. Cependant, il existe une différence fondamentale : les vaccins ne sont pas la même chose que les médicaments contre l’hypertension.

Les médicaments traitent les symptômes chez une personne spécifique. Les vaccins, en revanche, sont des mesures préventives qui agissent également sur l’immunité collective. L’effet d’un vaccin va au-delà de la protection individuelle et ralentit la propagation du virus. Plus le nombre de personnes protégées est élevé, moins le virus a de chances de se transmettre d’une personne à l’autre. Et moins il a de chances de muter.

Mais laissons de côté cette nuance scientifique. L’idée que « les vaccins sont inutiles en présence de personnes non vaccinées » semble particulièrement séduisante pour ceux qui s’opposent déjà à la vaccination. Surtout lorsqu’elle est présentée de manière caricaturale : « Regarde, ta protection a échoué parce que Vasya est dans le métro sans Pfizer ».

Chimiothérapie gratuite pour tous !

La prochaine étape de la rhétorique anti-vaccination est la comparaison avec la chimiothérapie. « Faisons tous une chimiothérapie pour prévenir le cancer ! », s’exclament les commentateurs sur les chaînes Telegram. « Où sont vos ordonnances de statines, si nous devons avoir des certificats de vaccination ? ».

À première vue, cela ressemble à de la satire sociale. Mais, en substance, il s’agit d’une substitution de concepts. Le cancer n’est pas une maladie infectieuse. Il ne peut pas être « transmis » par un voisin dans le bus. Le COVID et la grippe, oui. C’est là toute la différence.

Cependant, la comparaison avec la chimiothérapie fonctionne bien comme tactique : elle est absurde, provocante et émotionnelle, et c’est ce qui la rend si attrayante.

La pandémie comme point d’ébullition

Les doutes sur les vaccins existaient bien avant la COVID-19, mais la pandémie les a catalysés. Les recommandations en constante évolution, les nouveaux variants et les calendriers de rappel peu clairs ont créé un sentiment de chaos. Même les personnes qui font généralement confiance à la science ont commencé à se sentir désorientées par les informations.

Dans ce contexte, les anti-vaccins ont proposé une vision du monde simple : « Les autorités sont désorientées, ce qui signifie qu’elles cachent quelque chose ». Ajoutez à cela la méfiance envers les entreprises pharmaceutiques et une pincée de liberté individuelle, et vous obtenez une tempête sur les réseaux sociaux.

Les « passeports sanitaires » et les restrictions imposées aux personnes non vaccinées ont été particulièrement irritants. Ils ont été présentés comme le début d’une « dictature médicale » et les vaccins comme une arme politique. L’argument était le suivant : « Si j’ai besoin d’une preuve de vaccination pour acheter un café, alors il s’agit de contrôle ».

Masques, zombies et complot

Les masques constituent une autre couche de rhétorique. « Les gens qui portent des masques ressemblent à des zombies ! », affirment les auteurs des publications, accompagnées de photos de personnes seules dans leur voiture avec un masque. Ces « zombies » seraient tellement endoctrinés qu’ils croient même que l’air de leur propre maison est dangereux.

Ce qui importe ici, ce n’est pas de savoir si la personne qui porte un masque dans sa voiture a raison. L’essentiel est que l’image elle-même est utilisée comme preuve de la « folie collective » prétendument causée par les vaccins, les médias et une conspiration mondiale.

Les communautés anti-vaccins accompagnent souvent ces arguments de références aux taux de mortalité après la vaccination. Le problème est que la plupart de ces « preuves » sont déformées ou sorties de leur contexte. Mais dans les fils d’actualité Telegram et les vidéos YouTube, elles semblent convaincantes, surtout lorsqu’elles sont accompagnées des mots « URGENT !!! Vidéo interdite ».

Cela semble effrayant, donc ça doit marcher

Les antivaccinistes utilisent souvent une série de termes « effrayants » qui font facilement les gros titres et les commentaires :

  • Les nanoparticules pénétreraient dans le cerveau et provoqueraient des changements à long terme.
  • La protéine Spike est décrite comme un poison qui circule dans le sang.
  • La thérapie génique suggère l’idée de réécrire l’ADN.
  • La plateforme ARNm est perçue comme une expérience sans conséquences.
  • Des puces implantables seraient intégrées au vaccin.

Ce vocabulaire joue sur les émotions et fonctionne bien dans un environnement où les arguments cèdent la place à des titres alarmistes.

L’idée de l’immunité collective

Le terme scientifique classique « immunité collective » est devenu un sujet de controverse. Normalement, il signifie que plus le nombre de personnes protégées est élevé, moins le virus a de chances de se propager. Mais dans l’imaginaire populaire, il est devenu une sorte de contrat : « Si je me fais vacciner, tu dois le faire aussi ».

D’où la question logique des antivaccinistes : « Pourquoi avez-vous besoin de mon vaccin si vous êtes déjà protégé ? ». La réponse réside dans les nuances : la vaccination réduit le risque de développer une forme grave de la maladie, mais n’empêche pas toujours la transmission du virus. Avec une couverture insuffisante, la société risque de subir une nouvelle vague.

Mais dans la logique de Facebook, tout est plus simple : si quelqu’un tombe malade, le vaccin est inutile. Parce qu’il est censé protéger, n’est-ce pas ?

Les complots sont plus commodes

Le complot est toujours un raccourci. Lorsque la science est confuse et que les consignes changent toutes les deux semaines, il est plus facile de croire aux « grandes entreprises pharmaceutiques ». Selon les théoriciens du complot, les grandes entreprises pharmaceutiques gagnent des milliards en vendant des vaccins qui « ne guérissent rien ». Dans le même temps, elles seraient à la tête de l’esclavage numérique de l’humanité grâce à des codes QR, des bases de données et des passeports biométriques.

Bien que la réalité soit un peu plus compliquée (les entreprises pharmaceutiques ont des budgets énormes, mais elles ne déterminent pas les stratégies mondiales de l’OMS), les théories du complot fournissent un cadre pratique, en particulier pour ceux qui se méfient déjà du gouvernement, des médias et des médecins.

Pourquoi comprendre tout cela ?

On peut rejeter les antivaccinistes comme des figures marginales. Mais la vérité est que ces opinions ne disparaissent pas, elles se transforment. Aujourd’hui, c’est le COVID, demain ce sera l’hépatite, le papillomavirus, la grippe, la diphtérie. Le refus de se faire vacciner passe d’un choix privé à une menace pour la santé publique.

Et si nous n’essayons pas de comprendre pourquoi ces idées fonctionnent, il sera difficile de les combattre. Il s’agit de méfiance, de peur et du sentiment d’être manipulé.

Pour comprendre pourquoi les discours anti-vaccins continuent de prospérer, il est utile d’examiner comment ils se propagent :

  • Méfiance envers l’autorité : toute déclaration est accueillie avec scepticisme, qu’elle provienne de politiciens ou de médecins.
  • La complexité de la science fait que les gens n’ont ni le temps ni l’envie de comprendre les termes et la logique de la recherche.
  • Surcharge d’informations : des milliers de sources disent des choses contradictoires.
  • Réseaux sociaux : les fausses informations se propagent plus vite que les explications scientifiques.
  • Expérience personnelle : « mon voisin a mal réagi au vaccin » est plus mémorable que les statistiques.

Sans tenir compte de ces facteurs, le débat sur les risques de la vaccination devient assourdissant.

La science ne doit pas baisser les bras

Les gens auront toujours peur de ce qu’ils ne comprennent pas, surtout lorsqu’il s’agit de leur corps, de leur santé et de leurs enfants. Mais c’est à la société qu’il incombe d’expliquer, d’argumenter et de prouver.

Alors que certaines personnes craignent que sans vaccination, l’apocalypse commence, et d’autres craignent que la vaccination conduise à l’implantation de puces, il doit y avoir parmi elles quelqu’un qui garde son bon sens sans se mettre un chapeau en aluminium, mais aussi sans condescendance.

L’hygiène de l’information fait autant partie de la prévention que la vaccination. Et, aussi étrange que cela puisse paraître, elle nécessite également une immunité collective.